De Real de la Jara à Monesterio : 20 km

De Real de la Jara à Monesterio : 20 km

Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle

 

4e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 873 kilomètres
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El Real de la Jara, dimanche 5 septembre.

Il est 8h, la cloche m’accompagne à nouveau ;  il y a environ 5 mn que j’ai quitté l’auberge. Il fait jour, la température est agréable. Aujourd’hui je me suis enfin probablement  réhydraté correctement car cette nuit il a fallu évacuer le trop plein ; vu ma situation en hauteur et mes faibles aptitudes à la varappe la manœuvre fut acrobatique et a sûrement réveillé mes coturnes d’autant plus que dans la pénombre, au passage du linteau un peu bas de la porte, je me suis pelé le haut du crâne dans un juron à peine étouffé.

La consigne était de laisser sa clé dans la boîte aux lettres en partant ; pendant le déjeuner j’ai vu un pèlerin déposer la sienne et pour être sûr de ne pas oublier je me suis empressé de l’imiter. Mais je me suis retrouvé le dernier à partir… ! Heureusement peu après mon départ j’ai croisé le gars de l’Office de Tourisme qui remontait vers l’auberge qui ne sera donc pas restée ouverte bien longtemps.

Ce matin je me sens en forme mais c’est vrai que…  jeudi, vendredi, samedi, dimanche … j’attaque seulement le 4ème jour. J’ai l’impression d’être parti depuis un mois, mais il est vrai que ça fait toujours un peu cet effet, il faut bien une semaine pour s’acclimater, prendre le rythme.

De petites connivences commencent à se créer. Pour le moment il me semble que je suis le seul Français. Les Allemands de Cologne ne parlent pas français et ont un anglais très sommaire, du coup nous échangeons des sourires. Difficile de savoir s’ils sont sympathiques ou pas, ils sont très refermés sur eux-mêmes, mais peut-être ne suis-je pas non plus très ouvert. Donc direction Monesterio à environ 25 bornes. A l’arrivée il n’y aurait que 6 places, autant dire qu’il risque d’y avoir un petit problème. Bon, au pire j’irai à l’hôtel.

10h40 je sors de la boutique d’une station service Repson au niveau d’un échangeur. Le 95 y était à 1,157 €. Je lui ai préféré un coca glacé et un croissant au chocolat savourés dans le doux bruissement d’une climatisation. J’ai profité des toilettes pour refaire le plein d’eau. En préparant ce voyage j’avais consulté le blog de quelqu’un écrivant que, pour s’alléger, il n’emmènerait ni gourde ni poche à eau, il avait uniquement prévu de s’arrêter dans les bars pour faire connaissance, discuter et boire un coup. Je ne sais pas s’il a pu réaliser son projet dans ces conditions, car ici, depuis ce matin c’était la première occasion de s’arrêter pour s’hydrater, entre-temps c’était le désert. Jusqu’à présent le chemin suivait une route en terre assez large sans grande difficulté si ce n’est qu’à partir de 9h ça s’est mis à chauffer. La routine. Il semble que désormais le goudron sera majoritaire. Mais pour le moment, une fois passé les entrelacs de l’échangeur, le chemin serpente entre autoroute et nationale dans une forêt d’eucalyptus et tout le monde sait désormais que j’adore ces arbres dont la présence m’aide à ignorer le lointain ronron de l’autoroute.

11h je viens de croiser un jeune Allemand qui fait le chemin à contresens, il vient de Zamora et il va rejoindre Séville. D’après lui il aurait fait 400 km. J’ai aussi rejoint les deux Allemands de Cologne qui eux sont sur la route nationale : erreur ou choix ?

Je suis entré dans Monesterio vers 12h30. En route j’ai retrouvé l’Espagnol, une première fois au niveau de la station service, puis un peu plus loin sous un pont de l’autoroute où il prenait le frais en fumant une cigarette. Il trimbale deux sacs, un devant et un sur le dos. Où a t-il passé la nuit ? Mystère. Il m’a ensuite rattrapé dans une côte et m’a doublé comme à l’exercice pendant que j’adoptais un rythme lent pour me ménager. En arrivant ici j’ai vu devant moi, au loin, les Allemands qui avaient emprunté la route sans doute plus courte et plus facile, moins de dénivelés, moins d’accoups. Depuis je n’ai revu personne. Ont-ils tous continué plus loin ? Pour ma part je reste ici, j’ai l’impression de retrouver la forme et je ne vais pas m’empresser de casser à nouveau la machine.
L’hébergement pèlerin organisé par la Croix Rouge que m’annonçait mon guide n’existe plus. Je me suis rabattu sur un hôtel juste à côté, 20€ la chambre, douche et toilettes privées, climatisation et petit-déjeuner compris, ce n’est pas excessif. Après m’être offert un bon repas au restaurant au milieu de familles endimanchées j’ai profité pleinement de ce luxe temporaire : ablutions multiples, sieste et lecture au frais. Il faut que j’accepte d’adopter un rythme plus lent. Ces derniers jours sans doute me suis-je mal alimenté, mal hydraté, mais surtout, comme souvent, je me suis lancé des défis et j’ai apparemment présumé de mes capacités. Bon, je n’en suis qu’au début et il ne faut donc pas désespérer même s’il y a des moments où je me demande si ce truc là est toujours fait pour moi.

Le récit de mon Chemin de Compostelle au départ du Puy-en-Velay ainsi que celui par le Camino Norte sont désormais disponibles en livres vous pouvez les découvrir ICI.

Vers 20h, à la fraîche, comme les animaux de la savane, je sors de mon cocon à la recherche de ma pitance du soir. Cela fait plusieurs jours que par moment ça me grattouille entre deux orteils. Un début de mycose ? En sortant de l’hôtel ça recommence, je suis en sandale alors je passe le doigt et je sens quelque chose, j’écarte bien les orteils et là je vois une tique monstrueuse d’environ un 1/2 cm de diamètre avec les pattes qui s’agitent dans tous les sens. Je tire dessus, ça résiste, puis ça cède, elle m’échappe et part en courant dans le caniveau ; donc elle est entière, c’est bon signe, il paraît que c’est quand la tête est arrachée qu’il y a le plus de risque d’une contamination. Elle a dû s’installer lors de cette pause où, sans doute pour suivre une mode alors que je ne fais jamais ça, j’avais enlevé chaussures et chaussettes pour faire la sieste. Les fourmis n’avaient pas été les seules à me choisir pour proie. On ne m’y reprendra plus.

21h, je suis à la terrasse d’un café où je déguste des pommes de terre à l’aïoli et un excellent jambon. Il faut dire que, sans surprise au vu de tous ces élevages porcins, Monesterio est une sorte de capitale du jambon dont, à une semaine près, je rate « El dia del jamon » (Le jour du jambon), une fête de renommée nationale. Cet établissement m’a été recommandé par les deux Allemands qui en sortaient. Ils sont dans un autre hôtel où ils ont payé 24 € la chambre pour 2 : à 2 c’est mieux ! L’un d’eux a une énorme ampoule et n’a rien pour la soigner. Aujourd’hui tout est fermé. Je lui ai donné un de mes pansement, du type seconde peau, que j’ai toujours sur moi. Ils ne connaissaient pas. Je suis parfois étonné que les gens partent ainsi le nez au vent, serais-je un anxieux, ou alors j’ai une confiance toute relative dans la providence.

A quelques mètres se trouve la terrasse d’un autre bistro. Le contraste est frappant. Alors que là-bas le gris est la teinte capillaire dominante, ici les clients ont au maximum 30 ans, accompagnés ou non de jeunes enfants, et, pour la plupart, ne boivent que des boissons non alcoolisées. Ils échangent des plaisanteries avec les passagers de voitures customisées qui font lentement le paseo devant la terrasse en se rejouant American graffiti. Quelques cavaliers participent à cette ronde et y ajoutent une touche locale, le fumet du crottin exacerbant le parfum de mon aïoli. Je ne m’y sens pas déplacé d’autant plus que des sourires me souhaitent la bienvenue.

 

 
108 kilomètres parcourus depuis Séville

9 réflexions au sujet de “De Real de la Jara à Monesterio : 20 km”

  1. Re: De Real de la Jara à Monesterio : 20 km
    Salut Pierre,
    Ah, enfin une étape de (seulement) 20 km!
    çà fait du bien de lever un peu le pied de temps en temps : surtout avec la chaleur…..

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  2. Pour Benoit
    Bonjour,
    Souvent les Offices de tourisme et les bibliothèques proposent des accès Internet. Il y a aussi des cafés qui ont le Wifi mais évidemment cela concerne surtout les villes d’une certaine importance. J’avoue ne pas trop mettre soucié du Wifi sur mon parcours. A toi de découvrir cet aspect du Chemin.
    Buen Camino

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  3. Via de la Plata
    Bonjour Pierre, mon départ approche, il est fixé au 5 mai depuis Lançon de Provence vers Seville puis sur le chemin dés le 6 mai….tes photos sont sublimes et ne font que dynamiser ma motivation….y a t’il des bornes WIFI sur la via de la Plata car je pars avec un Ipad pour mettre à jour mon blog au fur età mesure de mon avancement et tenir informer tout mon fan club…
    Merci

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  4. Ermitage
    Oui, j’en viens. C’est l’autoroute que tu veux évoquer ?
    Moi je voulais dire que j’étais en admiration devant ta réponse à Hélène, ta prose, ton envolée lyrique… Magnifique:-)

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  5. Ermitage
    « Tout l’art du cadrage photographique est là pour susciter le mystère et enjoliver la réalité : ermitage, soucoupe volante, énorme insecte … Qu’y a t-il autour ?
    Continuons de rêver un instant avant que les irréductibles pragmatiques, les assoiffés de vérité tangible découvrent ce bâtiment dans son contexte des plus prosaïques sur Google Map ;o) »
    Salut Pierre. Alors là, CHAPEAU :-)))

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  6. RE : Ermitage
    Bonjour Hélène,
    Tout l’art du cadrage photographique est là pour susciter le mystère et enjoliver la réalité : ermitage, soucoupe volante, énorme insecte … Qu’y a t-il autour ?
    Continuons de rêver un instant avant que les irréductibles pragmatiques, les assoiffés de vérité tangible découvrent ce bâtiment dans son contexte des plus prosaïques sur Google Map ;o)

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